Fabrique d’indiennes de St Cyr au Mont d’Or
Dans le bas de St Cyr, existait au 19ème siècle, aux confins des ruisseaux d’Arche et du Pomey, une manufacture d’impression d’indiennes ou toiles de Jouy* (toiles de coton imprimées).
Le dirigeant était Antoine-François MICHEL, né en 1775 à Orange (Vaucluse), fils de Louis MICHEL, graveur à la fabrique d’indiennes d’Orange des frères Wetter en 1775-1778 et graveur sur indiennes à Bourges en 1783.
La manufacture fonctionnera approximativement de 1817 à 1844.
Son emplacement exact se situait d’une part sur la partie terminale du ruisseau du Pomey, quand il se jette dans l’Arche, limité par la route de St Fortunat à Lyon au Nord et par le chemin de Sauteriot.(chemin de Crécy actuel) à l’ouest. Cet emplacement était jadis en partie celui du moulin des Delles Kronn, situé en 1786-1806 dans la partie basse de la propriété Frérejean. Ce plan inférieur près du ruisseau était appelé la Liauda jusqu’au 19ème siècle ou les Prés d’Arche. (parcelles 1098 à 1102). Et d’autre part, de l’autre côté de la route de Lyon à St Fortunat, un grand bâtiment de 65 mètres de longueur RDC et deux étages, chacun percé de 57 fenêtres ,fut construit dans le domaine de la vieille maison de Louis PEY en 1925/1980, qui comportait déjà maison de maître, jardin et dépendances, au 105 rte de St Fortunat. (parcelles 1103 à 1108 sur le plan).
Pourquoi le choix de ce lieu à St Cyr au Mont d’Or?
Pour d’une part, tirer partie de la force motrice ( on parle d’une roue comme pour les moulins) de l’eau du ruisseau nécessaire pour faire tourner les machines, et d’autre part, pour utiliser l’eau pour les bains de teinture et les rinçages, et enfin, pour la configuration du lieu, très avantageuse, avec ces grands prés en 1109 et 1110 idéale pour étendre les «pièces» d’indiennes sur la prairie afin de les faire sécher.
*Indiennes ou toiles de Jouy : Toiles de coton imprimées de motifs divers (fleurs, oiseaux, personnages) dans des coloris chatoyants où dominent le bleu Indigo (de l’Indigotier) et le rose Garance (plante Garance, rubrum tinctorum), importées d’Inde au 16ème siècle par les navigateurs anglais, Hollandais et portugais.
En 1686, devant l’inquiétude des fabricants de soierie, concurrencés par ces cotonnades très en vogue, Louis XIV interdit l’importation et la fabrication des indiennes en France. Mais de nombreux négociants et artisans huguenots, persécutés pour leur religion protestante dès le début des années 1680, s’exilent en Suisse, principalement à Genève puis Neuchâtel et créent ainsi à Genève les trois premières usines d’indiennes, entre 1690 et 1710.
Ce sont des protestants suisses qui organisent les quatre principales implantations en France, illégalement en 1746 à Marseille, 1754 à Nantes et 1756 à Rouen. L’interdiction fut levée en 1759, et c’est à cette époque qu’Oberkampf créa sa manufacture d’indiennes à Jouy-en-Josas. En 1783, Louis XVI octroit à l’entreprise d’Oberkampf de Jouy le titre de « Manufacture royale ».
Chronologie des évènements concernant la famille MICHEL:
En 1787, François-Antoine MICHEL vit à Bourges où son père est indienneur . Au décès de celui-ci, en 1787,François a 12 ans et ses deux frères Benoît et Joseph ont 9 et 4 ans.La mère de François-Antoine ne s’est apparemment pas remariée. (http://www.encyclopedie-bourges.com/textile.htm)
On ne connaît rien de la période 1787-1803. C’est sans doute pendant cette période que François aurait pu être contremaître chez Oberkampf * à Jouy-en-Josas comme le dit le Dr Gabourd dans son livre..
Avant 1803, François-Antoine MICHEL est employé à la fabrique d’indiennes de Charles-Emmanuel PERREGAUX à Bourgoin-Jallieu.
En 1803, le 3 Février : Il achète la fabrique d’indiennes de la Ferrandière à Villeurbanne.
Francois MICHEL et Louis Barbezat, tous deux anciens ouvriers des Perregaux à Jallieu, prennent en bail la fabrique d’indiennes de la Ferrandière, déjà occupée par un certain Lachesnaye, moyennant 5240 f en écus de 6L. »Les locataires ne pourront loger d’ouvriers au château,ni y établir d’atelier;ils ne pourront faire aucun changement sans permission des bailleurs; ils s’engagent à laisser à leur sortie les gravures et ustensiles d’une valeur de 30.000 f ». (Acte notarié du 14 pluviose an 11 -ADR 3E 6904 A –Merci à Serge Chassagne, professeur émérite de l’Université Lyon II)
En 1809, le 10 Mai à Lyon (Mairie-Unique), a lieu le mariage de François-Antoine MICHEL avec Anne-Claude FIGUREY, demeurant avec son père à Lyon, cours Napoléon*.. fiche de François,Antoine MICHEL
- le cours Napoléon (2e) deviendra plus tard cours d’Angoulême en 1815 puis quai de la Charité en 1830, correspond à l’actuel quai Gailleton (depuis 1907). Source : www.guichetdusavoir
En 1810, le 19 Août, Antoine-Francois Michel, fabt d’indiennes aux Brotteaux, vend à son frère Benoit, aussi fabt d’indiennes, le fonds de fabrique lui appartenant, maison Garin, moyennant 4050f ;suit la description du matériel (dont 25 tables avec baquets et maillets;750 f; vieilles gravures 300F et nouvelles gravures 588f;livres de dessin 400f). ((ADR 3E 11029) Serge Chassagne professeur émérite de l’université Lyon II))
En 1817, le 2 Novembre, vente par JP Brunet, propriétaire à St Cyr au Mt d’Or à Antoine-Francois Michel, fabricant d’indiennes, et à son épse Claudine Figurey, d’un domaine à St Cyr de 25.500 m2, moyennant la somme de 35.000f, payable le 21/6/1836 à 5% .
(ADR. 3E 13055) Merci à Serge Chassagne, professeur émérite de l’université Lyon II.
Le domaine tel que Michel l’a acheté en 1817 est constitué de :
1° Un grand corps de bâtiment pour le maître, et un autre bâtiment pour le granger, écurie, fenil, caves et hangar, dans lesquels sont 3 cuves, un pressoir, deux foudres et deux bareilles. (parcelle 1108)
2° Un tènement de fonds en terre et vignes étant au-dessus de la maison… (parcelles 1106 et 1107)
3° le pigeonnier à côté de la maison et le jardin au-devant, ainsi que les prés, terres et verchères joignant ledit jardin et faisant partie du clos .Tous les fonds ci-dessus de la contenance de 255 ares (2,5 ha ou 25500 m2) 41ca.(19 bicherées 3/4 ancienne mesure). (parcelle 1103)
4° Et enfin un pré au-devant de la maison et qui en est séparé par le chemin de Lyon à St Cyr et St Didier et confiné de Nord par ledit chemin, d’orient par le pré vendu par le comparant au Sr Fuchez, de midi par le ruisseau d’Arches et de couchant par le chemin dit Sauteriau, de la contenue de un hectare environ (7 bicherées ¾). (parcelles 1098 à 1102)
En 1821, le 5 Avril, à St Cyr au Mont d’Or, naît au sein du couple de François Antoine MICHEL et Annette Figurey, une fille, Claudine Rosalie, 3ème enfant du couple. Elle épousera en 1836 à St Cyr, son cousin germain, Isaac MICHEL, fils de Benoît, le frère de François Antoine. Isaac Michel travaille dans la fabrique d’indiennes de son oncle.
En 1821, le sieur Michel loue pour 15 ans à la dame Gauthier le moulin d’Arches de Gérinieux à St Cyr ainsi que la maison du meunier. En 1835, on retrouve l’inventaire des meubles en son nom. C’est à cette date qu’il a dû résilier son contrat. (Dr Gabourd)
En 1824, le sieur Michel fait partie des trente personnes les plus imposées de St Cyr, il est le sixième sur la liste des trente. (Archives communales de St Cyr )
En 1827, création d’une société de bienfaisance pour les 35 ouvriers de la fabrique d’indiennes de
Mr Michel à St Cyr au Mont d’Or. Le 13 mai, des élections ont lieu afin de créer un conseil.
En 1829, le 20 Février à St Cyr au Mont d’Or, François-Antoine MICHEL, fabricant d’indiennes, déclare le décès de sa mère, Rose PHILIP, âgée de 80 ans, veuve de Sieur Louis MICHEL et native d’Orange. (Vaucluse). (AD du Rhône – St Cyr au Mont d’Or – D – 1829 – page 03/13)
En 1833, J.Baptiste PAIN donne à louer dans sa maison de Chatanay à St Cyr un appartement à Charles Ancenay, employé chez Mr Michel, lui interdisant de mettre dans son appartement des machines bruyantes à marteau ou autres. Le prix de location est de 400 frs par an. (Dr Gabourd)
En 1837, le 5 Avril, : Antoine-Francois emprunte par obligation 30.000F au négociant lyonnais Joseph-Antoine Pont, remboursables dans 6 mois, avec hypothèque sur le domaine de St Cyr, (A.D.R. 3E 24050) Merci à Serge Chassagne, professeur émérite à l’université Lyon II.
Description du domaine hypothéqué en 1837 :
1°Bâtiment ayant RDC et deux étages , la façade est percée à chaque étage de 7 fenêtres ou ouvertures. (parcelle 1108)
2° Tênement en fonds de terre et vignes 3° D’un autre tênement en pré, terres et verchères de la contenance de 255 ares
.4° D’un pré au-devant de la maison dont il est séparé par un chemin public, de la contenance d’environ 1 ha.. (parcelles 1097 à 1102)
Description des 5 bâtiments d’exploitation de la manufacture que Michel a fait construire :
– Dans le domaine où est la maison de maître :
1er, un bâtiment renfermant le comptoir, le magasin de drogues, l’atelier des gravures(2) et celui des metteurs sur bois (1), les divers ateliers d’imprimerie ; le bâtiment a un RDC, deux étages, soixante cinq mètres (65) de longueur, sa façade est percée à chaque étage de cinquante trois fenêtres (53) de face.(parcelle 1108)
2° Celui renfermant les écuries, fenil, la loge du portier, une fontaine. (parcelle 1103)
Les bâtiments 3-4-5 sont construits dans le pré porté plus haut sous le n°4. (parcelles 1097 à 1102)
3° celui renfermant les étendages, le cylindre et la roue
4° un autre petit bâtiment renfermant la chambre chaude (3).
5° un autre bâtiment formant hangar pour le lavage et renfermant en outre les cuves pour le garançage (5) et une chaudière à vapeur.
Dans la présente affectation, se trouvent compris tous les agrés, ustensiles, effets mobiliers attachés à l’exploitation :
– Une pompe à vapeur de la force de 10 ch.,- Une machine à imprimer à rouleaux à 3 couleurs, avec tous les rouleaux en cuivre qui en dépendent., cylindre, chaudières pour les teintures, machines à graver…
(ADR. 3 E24050)
En 1840, Mr MICHEL est propriétaire des parcelles 1098 à 1113 à l’Indiennerie ainsi que de deux parcelles à Gérinieux, au bord du ruisseau, avant le moulin Galatin. Voir les mutations le concernant :
En 1841, Recensement à St Cyr des 128 ouvriers de François Antoine MICHEL. Lul est veuf. Son métier : manufacture d’indiennes. Sont recensés avec lui, son fils, un commis, un domestique, un voiturier et 128 ouvriers dont 68 hommes et 60 femmes. Sources : AD du Rhône, St Cyr, recensement 1841, page 16/34.
En 1842, le 5 Juillet, François-Antoine se marie en secondes noces à Lyon avec Marie-Françoise GRÉA
En 1844, le 28 Mars, à St Didier au Mont d’Or, l’autre neveu de François Antoine MICHEL, Gaston MICHEL, déclare un enfant qu’il a eu avec Marie MACLET, habitante de St Didier, la Haute-Archinière. Il est coloriste à la fabrique d’indiennes de son oncle.
Cette fabrique perdurera donc jusqu’en 1844 au moins, puis sera transformée en fabrique de papiers peints, d’après la tradition.
En 1846, on ne trouve plus trace des indienneurs au recensement de St Cyr; néanmoins, en Octobre en 1853, le trésorier de la société de secours mutuel des Indienneurs, Jérôme Vondière, dispose en liquide de la somme de 1006 frs qu’il doit placer en partie à la Caisse d’Epargne. (Courrier de la Préfecture à Mr le Maire de St Cyr).
En 1849, le 26 novembre, la commune édite un état de proposition de subvention à imposer aux sieurs Guerre et Fougeron, entrepreneurs de la démolition de l’ancienne manufacture dite : l’Indiennerie en raison de la détérioration temporaire qu’ils produisent actuellement au chemin de Gde communication précité (ch.n°21 de Lyon à St Cyr et St Fortunat), par l’exportation des matériaux.
En 1895, le maçon André Dutreix démolit le grand bâtiment et transporte les pierres pour reconstruire un autre bâtiment dans le hameau des Gasses qui deviendra la ferme-laiterie Dutreix-Budin, chambres, repas, lait à toute heure…
Quelques employés de Mr Michel recensés à St Cyr au Mont d’Or en 1827-1829 : Claude François Joseph FIGUREY, coloriste, 23 ans. Antoine FIGUREY, coloriste,Jacques Louis PERRET, teneur de terre, Pierre André BLANC, natif de Beaufort en Savoie, Nicolas STADLER, imprimeur, originaire du Haut-Rhin, Charles ANCENAY, imprimeu, Jacques CARNOUX, imprimeur, natif de Bayonne. Jean RENOBERT, natif de Genève, Michel MICHEL, imprimeur en 1836, Martin Weber, imprimeur, originaire du Haut-Rhin. etc…Ceci nous montre la diversité des lieux d’origines des Indienneurs, recherchés pour leur savoir-faire.
Notes :
Impression à la planche de bois gravée en relief.
Cette technique, la plus ancienne, originaire de l’Inde et pratiquée en France depuis le XVIIe siècle, consiste à imprimer des tissus grâce à un bloc de bois gravé après l’avoir enduit de teinture.
Pour un seul dessin, il y a autant de blocs gravés que de couleurs contenues dans le dessin original, que l’on souhaite transférer sur le tissu. En premier lieu, le dessinateur réalise une maquette gouachée à taille réelle.
(1) Metteur sur bois : le metteur sur bois reporte le dessin sur la planche avec un gratté, qui est un papier transparent, huilé. Il doit alors peindre en vermillon les parties que le graveur doit laisser en relief.
(2) Graveur : Ensuite, pour chaque couleur que compte le motif, le graveur réalise à l’aide d’une gouge ou d’un burin une planche dans une essence dure (bois fruitier en général) souvent complétée par l’insertion de picots (clous) et de lamelles de cuivre courbes ou rectilignes. Ce procédé dit de picotage permet de restituer la finesse des points et des traits du modèle original. Une fois terminé, le bloc présente la sculpture sur un relief plat et laisse ressortir le motif dessiné plus tôt.
(3) chambre chaude : pièce chauffée à 80/100° par un foyer, à combustion utilisée pour sécher les tissus imprimés.
(4) impression : Pour imprimer le motif sur la soie, nous imprégnons la planche de couleur en appuyant sa face gravée sur un tampon feutre imbibé de teinture. Puis nous la posons délicatement sur la pièce de soie tendue en commençant par les picots qui saillent à l’angle et délimitent les rapports du dessin. Une fois le bloc posé sur le tissu, nous prenons un lourd maillet et avec le manche frappons deux ou trois coups le dos de la planche en son centre.
(5) Garançage : Application de la garance, pour teindre les tissus en coloris rouge vif.La garance, ou garance des teinturiers, est une plante de la famille des Rubiacées dont les racines sont utilisées pour leur capacité à teindre les textiles en rouge vif.
Garance est, par extension, la teinture et la couleur tirées de cette plante. C’était notamment le qualificatif des pantalons d’uniforme de l’infanterie française au début de la Première Guerre mondiale, qui exposait les militaires aux tirs des soldats allemands, équipés de tenues de couleur neutre (feldgrau).
(6) Mordançage : Il est plus difficile d’obtenir des teintes vives et saturées avec les fibres végétales. Elles se mordancent avec de l’acétate d’alun, des tanins, de l’alun ; ce traitement aide à rendre la couleur solide. .
http://www.atelierdesoierie.com/histoire-soierie/historique-de-limpression-a-la-planche/
Sources :
L’Atelier de Soierie – 33 rue Romarin – 69001 LYON
St Cyr et les Mont d’Or – Dr Gabourd – 1968
AD du Rhône – 3E 13055 et 3E 24050
Musée de la toile de Jouy : Les amis http://www.museedelatoiledejouy.fr/fr/accueil/
Association des amis du musée de la Toile de Jouy : http://amisdelatoiledejouy.fr/
Merci à Françoise Mazzoni, une arrière.ar.petite nièce de François Michel, qui m’a permis d’avancer dans mes recherches, en prenant contact avec Serge Chassagne, professeur émérite et auteur de plusieurs ouvrages sur les impressions d’indiennes .
Merci à Serge Chassagne, professeur émérite de l’Université LYON II – Histoire des sociétés d’impression sur étoffes de Bourgoin-Jallieu, Mémoire de maîtrise d’histoire, tome I, 1996.
La Fabrique des Prolétaires – Les ouvriers de la Manufacture d’Oberkampf à Jouy-en-Josas – 1760-1815 – Alain Dewere et Yves Gaulupeau – 1990 – Presses de l’Ecole normale supérieure –
Agnès Milliand : http://gw.geneanet.org/amilliand